I ¥ Digitized by the Internet Archive in 2011 with funding from University of Toronto http://www.arcliive.org/details/lesretoursleshalOOmose W ^^ AU62219M DIX-NEUVIÈmE CAHIER DE LA SEPTIÈIYIE SÉRIE EMILE MOSELLY les retours LES RALEURS — LE SOLDAT ^^%J^WS ^uOttawa"' ^ JuGttawa. CAHIERS DE LA QUINZAINE paraissant vingt fois par an PARIS 8, rue de la Sorbonne, au rez-de-ohaussée <^ 0 .en P ^ ^ ^ iôi. les retours. — i Nous avons publié dans nos éditions antérieures et dans nos cinq premières séries, igoo-igo/f, un si grand nombre de documents, de textes formant dos- siers, de renseignements et de commentaires ; — un si grand nombre de cahiers de lettres, — nouvelles, romans, drames, dialogues, poèmes et contes; — un si grand nombre de cahiers d'histoire et de philo- sophie ; de biographies et de vies ; et ces documents, renseignements, textes, dossiers et commentaires, ces cahiers de lettres, d'histoire et de philosophie étaient si considérables que nous ne pouvons pas songer à en donner ici l'énoncé même le plus succinct ; pour savoir ce qui a paru dans les cinq premières séries des cahiers, il suffit d'envoyer un mandat de cinq francs à M. André Bourgeois, administrateur des cahiers, 8, rue de la Sor- bonne, rez-de-chaussée, Paris, cinquième arrondisse- ment; on recevra en retour le catalogue analytique sommaire, igoo-igo^, de nos cinq premières séries. Ce catalogue a été Justement établi pour donner, autant qu'il se pouvait, une image en bref, un raccourci, une idée, abrégée, mais complète, de nos éditions anté- rieures et de nos cinq premières séries ; tout y est classé dans l'ordre ; il suffit de le lire pour trouver, à leur place, les références demandées. Ce catalogue, in-i8 grand Jésus, forme un cahier très épais de XII-\-4o8 pages très denses, marqué cinq francs ; ce cahier comptait comme premier cahier de la sixième série et nos abonnés Vont reçu à sa date, le 2 octobre igo^, comme premier cahier de la sixième série; toute personne qui jusqu'au 3i décembre igo5 s'abonnait rétrospectivement à la sixième série le rece- vait, par le fait même de son abonnement, en tête de la série; nous l'envoyons contre un mandat de cinq francs à toute personne qui nous enfuit la demande. Pour amorcer tout travail que l'on aurait à commencer dans notre premier catalogue analytique sommaire, con- sulter le petit index alphabétique provisoire que nous avons établi de ce catalogue analytique sommaire. Ce petit index Si\pha.hétique provisoire , in-i8 grand Jésus, forme un cahier très maniable de XII -(- 60 pages très claires, marqué un franc; ce cahier comptait comme premier cahier de la septième série et nos abonnés l'ont reçu à sa date, le premier octobre igo5, comme premier cahier de la septième série: toute personne qui s'abonne à la septième série, qui est la série en cours, le reçoit, par le fait même de son abonne- ment, en tête de la série; nous l'envoyons contre un mandat de un franc à toute personne qui nous enfuit la demande. Pour la sixième série, année ouvrière igo/^-igo5, et en attendant que paraisse le catalogue analytique som- maire de nos deuxièmes cinq séries, i go^-igog, on peut consulter, — provisoirement, — la petite table analytique très sommaire que nous avons publiée en fin de ce cahier index. à la gloire du vieil Homère, grand père de tous ces retours. DU MEME AUTEUR aux Cahiers de la Quinzaine Pages du Catalogue analytique sommaire Emile Moselly, — l'aube fraternelle, VajTivée, au camp, au fort, — un cahier épuisé, n'est plus mis en vente que dans les collections complètes de la quatrième série 176 — — Jean des Brebis ou le livre de la misère, Jean des Brebis, à la belle étoile, le revenant, la mort du Bouif, le Trompion, Cri-Cri trois francs cinquante 357 les retours les retours. — i. LES HALEURS LES HALEURS L'équipe travaille depuis l'aube dans la chaleur suffo- cante. Déchargeant un bateau de charbon, les hommes se suivent sur la passerelle pliante, la nuque écrasée sous le poids des sacs. Une poussière noire souille la berge, les ormes du chemin de halage, les chalands trapus et bas sur l'eau. Et les silhouettes des travail- leurs se meuvent confusément dans une buée chaude, traversée des rayons obliques du couchant. Une grue géante allonge le cou, comme une bête sournoise, ayant l'air de surveiller le travail des misé- rables . Et les hommes marchent du même pas, sur la passe- relle. Une morne désolation se lève des terrains vagues, rongés par une lèpre, où sont amoncelés des détritus. Le couchant verse une clarté plombée sur les eaux croupissantes du canal, où flottent des vieux bouchons, des journaux, des bois morts, toujours à la même place. On entend, quelque part, une machine haleter pesam- ment. Et le soleil qui décline n'apporte à la terre aucime fraîcheur, aucun apaisement. Des souflles ardents mon- tent du sol, comme si les choses hostiles voulaient i3 Emile Mosellj" mettre un large embrasement autour de la souffrance humaine... Et les hommes se suivent, du même pas rythmique et balancé, qui fait plier la passerelle. Ils vont, sans se hâter, remontés comme des machines. L'eau ruisselle sur les torses nus, sur les poitrails embroussaillés ; le soleil mord les nuques couleur de brique; et le travail s'accomplit, implacable, sans trêve, comme une besogne de forçat. Parfois un d'eux jette sa charge, et, droit comme un pieu, se laisse couler dans le canal. Puis il fait la plan- che, les bras en croix, poussant de temps à autre un grognement de plaisir. Et les autres lui jettent, au pas- sage, un regard de convoitise. Un chien altéré descend le talus; caché dans les roseaux, il boit longuement, avec un large lappement, qui fait à la surface de l'eau de grandes rides. * * Un homme déboucha à l'extrémité du chantier. Il marchait, affaissé et las. Devant lui, son ombre s'al- longeait démesurément sur la terre galeuse. Il s'arrêta, réfléchit et prit une résolution. Du même pas, qui traînait, il vint se planter devant le chef de chantier. Assis sur un tas de gravier, les jambes chaussées de bottes fortes, celui-ci surveillait le travail, éventant sa face suante avec un chapeau de jonc. — Salut! dit l'homme. Des fois, y aurait-y de l'em- bauche ? Le chef de chantier ne répondit pas. i4 LES HALEURS Il toisait l'homme, qui, la main dans la poche, sifflo- tait un air entre ses dents serrées, s'efforçant de prendre une attitude indifférente. Sa mise n'inspirait pas confiance. 11 avait dû faire une longue route. Ses espa- drilles étaient blanches de poussière ; son orteil sai- gnant passait par un trou. La défroque qui pesait à ses épaules était un ramassis de haillons, où s'accrochaient des fétus de paille, des feuilles sèches, des brindilles d'herbe, toutes les choses innommables qui pourrissent dans le fossé des grandes routes. Sa face terreuse, aux yeux caves, encadrée d'une barbe blonde, sale, malgré les efforts qu'il faisait pour paraître calme, était tiraillée par une angoisse. Un maraudeur sans doute, qui voulait pénétrer dans le chantier pour faire un mauvais coup, voler des ferrures ou des planches ! L'homme parla : — J'vasvous dire ÎJ'suispasexigeant.Une bricole, quoi! Un coup de maiii, si l'ouvrage presse. De quoi gagner une pauv' pièce de vingt sous. J'Vas vous dire, j'ai pas croûte depuis hier soir... Soupçonneux, le chef de chantier fronça les sourcils. — D'où venez-vous? L'homme, d'un large geste enveloppa l'horizon, bai- gné de clartés fauves, où des monts lointains s'accrou- I)issaient : — De là-bas. Il haletait : — J'en ai t'y vu des patelins, depuis que je marche ! Des bons pays, où y avait de tout, du vin, du lard, des pommes de terre! Et d'aut', des pays de chiens, où les poules crevaient de faim, autant dire, au temps de la moisson. J'ai marché partout, dans le plat pays et dans i5 Emile Moselly les côtes. Des fois on me recevait bien, je travaillais dans les fermes, à la moisson. Des fois, on lâchait des chiens après moi. J'couchais dans les haies, et je volais des navets dans les champs. J'ai pu de souliers, j'en peux plus. Les premiers temps, j'tenais bon : Gale pas, que je me disais. Mais la misère, ça vous use. J'tiens pu ensemble ; j'tombe en javelle, comme un vieux ton- neau... Il toussa, respira, reprit : Les derniers temps, j'avais une bonne place, du côté de Pagny, dans une usine de ciment. J'gagnais des trois francs par jour, à coltiner des sacs. Mais la poussière m'a entré dans les poumons, et le médecin m'a mis à la porte, parce que j'étais pu assez fort. Paraît qu' c'est mauvais, cette poussière-là. Y a rien comme ça, pour vous ronger la poitrine. Le surveillant eut un mouvement d'épaules impa- tienté : — C'est bon, dit-il. Attendez là, on verra si on vous trouve quelque chose. Puis il porta à sa bouche une trompe de corne, et il en tira un son rauque, qui courut au loin, sur les eaux lourdes de soleil. L'équipe s'arrêta. On faisait la pause, pour casser la croûte, car le tra- vail se prolongeait d'ordinaire, bien avant dans la nuit. Assis sur la berge vaseuse, les hommes tiraient des provisions de leurs bissacs, et ils mangeaient, placides et lents, avec un remuement tranquille des mâchoires. Ils cassaient les morceaux de pain savoureux, dont la mie blanche tachait vaguement leurs mains noires. Le lard savonneux s'écrasait sous leurs pouces graSj et ils i6 LES HALEURS en coupaient des tranches avec précaution, la lame de leurs couteaux jetant une lueur aiguë entre leurs doig-ts. Un d'eux cria : « Hohé, le mousse. » Et un g-amin d'une douzaine d'années, frêle et blond, se dressa sur le haut du talus, portant une cruche de fer-blanc, dont la panse arrondie étincelait. Les travailleurs pre- naient la cruche, et les bras tendus, buvaient à la régalade : le filet d'eau tombait dans leur bouche, coulait sur leurs barbes, arrosait leurs poitrails embrous- saillés. Le miséreux dévorait des yeux cette nourriture. Des rires s'éveillaient derrière lui: — Marquis de Bat-la-Dèche. — Monsieur le duc de Plat-Gousset! — Dis donc, vieux Charles, les actions baissent. — Tous des feignants, que j'te dis: ça a un poil dans la main. Quand ils crèvent la faim, y viennent travailler au rabais, pour embêter le pauvre monde. — Ah malheur! si ça ne serait pas mieux en prison. L'affamé entendait ces mots sans s'émouvoir. Seule- ment sa mine s'allongeait, exprimant une désolation, une sorte d'hébétement désespéré. Il tendait le dos, ce dos lamentable que le soleil avait mordu, que les bour- rasques d'automne avaient cinglé de leur crépitement, que le travail servile avait brisé, comme l'échiné d'une bête de somme. Il restait là, debout, dans le chantier. Puis un obscur besoin de réconfort, un vague instinct de sympathie le fit asseoir à côté du mousse. L'enfant mangeait, ses mains allaient et venaient, tirant d'un bissac en peau de vache des poignées de mirabelles, des fruits dorés, à la pulpe juteuse. Luisant 17 Emile Moselly de convoitise, les yeux du miséreux suivaient ce mouvement, malgré lui. L'enfant s'en aperçut : il s'api- toya. -7 Si le cœur t'en dit... Et il poussa le sac ; les rondeurs tentantes des fruits brillaient dans l'entre-bâillement ; l'affamé tendit la main : — C'est pas de refus. — Prends-en; quand y en a pu, y en a encore ! Et le mousse rompit son pain, un morceau de pain de ménage à la croûte saupoudrée de son, et le partagea avec l'homme. Il y avait entre eux comme une lointaine ressem- blance. L'homme mangea goulûment. Il se mit à respirer for- tement, allongeant ses jambes sur le talus gazonné. Avec la nourriture absorbée, une chaleur douce coulait dans ses membres, tandis que se calmaient les tiraille- ments de son estomac tordu par la faim. Ses pom- mettes se teintèrent de rouge : quelque chose passa dans l'air embrasé, comme un souffle frais du vieil espoir, qui vit toujours au fond de la vie. Puis le mousse tendit encore un litre de vin rouge, fermenté, dont l'écume rosissait dans le verre. L'homme essuya ses lèvres, et but à même le goulot. — Ça vaut mieux qu'un coup de pied dans le derrière, dit le mousse jovial. — Tout de même, répondit l'homme. Ça va mieux. Ils causèrent. — Y a t'y longtemps qu'on a fait cette route ? Il montrait par delà les eaux lumineuses, le flanc du val tailladé, le banc de roches blanches, qui pre- 18 LES HALEURS naient une coloration chaude, dans la poussière du soleil. — Y a deux ans. Ça a coûté de l'argent, un travail pareil. Y a fallu faire sauter la mine. Puis le mousse se ravisa : — T'as jamais passé par ici? — Si, dans le temps, mais je m'rappelle autant dire plus. Le mousse le contempla, secouant la tête de compas- sion : — J'ai mon frère aussi, qu'est dans la chemine ! — Pas possible! — Si fait ! Il est parti du pays, rapport à lui mauvais coup, tu comprends! Une bonne amie qu'il avait, les fréquentations défendues. Not' voisine, comme ça, l'a trouvé en train de farfouiller dans son armoire, qu'il avait défoncée. Tu comprends. Il avait profité du moment qu'elle était à la messe. Ça en a fait du scan- dale ! Aux premiers mots, l'houime avait tressailli. Une montée de terreur fit vaciller son regard dans ses pru- nelles vitreuses. Puis il baissa la tête, et dit d'une voix sourde, qui tremblait : — Comment t'appelles-tu petiot? — Jules Lexandre. Mon père est le Titisse, le pê- cheur. L'homme rentra encore plus la tête dans ses épaules. Le mousse se mit à lui donner des explications; il parlait avec volubilité, comme les enfants, qui se donnent de l'importance, et sont enchantés d'avoir à dire quelque chose. — Ou Ta emmené en prison. Des mois passent, on 19 Emile Moselly n'y pensait plus. Tout d'un coup, le v'ià qui revient sans crier gare. Je vois encore la chose : le vieux était assis d'vant le feu, arrangeant les braises avec le soufflet. La mère Taisait des brôlages, des bricoles. Lui il entre, tou- jours fier, un peu soûl. Il avait dû faire la bombe dans les auberges, dans sa joie d'avoir fini. — Bonsoir la compagnie, qu'y dit, comme ça, et y prend une chaise. On ne lui répond pas. Y tenait une miche de pain noir sur ses genoux ; même qu'elle avait dû rouler dans les fossés, la croûte était pleine de boue. — C'est la boule de son, qu'y dit comme ça, j'en ai mangé cent quatre- vingts en tout. Ça fait un compte. Des fois le pain était si gluant, qu'on le jetait contre le mur, et qu'y restait collé. Nos cochons n'en voudraient pas. — De quoi, qu'y dit le vieux, t'as pas honte, c'est le pain du déshonneur, t'en mangeras encore ce soir. La mère pleurait les larmes de son corps. On se taisait; le vieux arrangeait les braises. Le v'ià qui reprend : Garçon, causons un peu. Qu'est-ce que t'as l'intention de faire. Tu nous as mis plus bas que la terre. Voleur! que le bon Dieu m'pardonne, jamais j'avais fait le tort d'un sou à per- sonne ma vie durant. Et v'ià que j'ai honte, en passant dans la rue ! On me montre du doigt à présent. Qui vou- dra de toi, quand tu penseras à t'établir ? Pour un oui ou un non, les gens nous jetteront la chose à la figure, j'peux pas avaler ça ! V'ià mon frère qui se lève, blanc comme un linge : Je pars, qu'y dit. On ne me re verra plus. — Ça vaut mieux, dit le père. La mère levait les bras au ciel, en criant qu'on la ferait mourir. Le vieux n'disait rien, et nous les p'tits, on n'osait pas piper dans not' coin, rapport aux colères du vieux qu'étaient terribles. — En route, dit le père. Mon frère prend sa boule. Moi 20 LES HALEURS j'courais derrière. Le père l'a conduit jusqu'à la croix des Vaulx, en haut de la côte. Y s'a arrêté. Y faisait noir comme dans un four. On ne voyait que la route qui dévalait, les champs, et tout au fond, deux ou trois petites lumières, dans les fermes, qui tremblaient comme des âmes en peine. — V'ià ton chemin, qu'y dit le père. Et tâche de marcher droit. Mon frère est parti. On n' l'a jamais revu. L'homme avait écouté le récit, avec une sorte d'an- goisse. De temps à autre il passait sa main sur son front, d'un air égaré. Il dit en manière de conclusion, d'une voix sourde : — C'est triste, tout ça. Petiot, faut pas se hâter de condamner les gens. Tu ne sais pas, t'es trop jeune, ça viendra. La vie n'est pas drôle tous les jours. A ce moment le chef de chantier reparut. Il dit à l'homme : . — Vous avez de la chance. V'ià justement un ouvrier qui m'fait faux bond. Vous le remplacerez dans l'équipe qui va remonter un bateau de gravier jusqu'à l'écluse 29. Comme ça, vous gagnerez une vingtaine de sous, et vous pourrez coucher dans une auberge. Puis la corne sonna la reprise du travail. C'était un lourd bal eau de l'administration. La coque de fonte, peinte de minium, se relevait à l'avant, comme une pointe de sabot. Le bordage plat rasait l'eau. Debout à la barre du gouvernail, le pilote se démenait. Ses gros souliers soimaient sur le pont de tôle, et sa 21 Emile MoselVy stature se détachait, toute noire, sur l'eau brillante, où des remous tournoyaient. — En route, cria le surveillant. Les haleurs s'attelèrent à la corde, passant de larges sangles en travers de leur poitrine. Ils donnèrent un vigoureux coup de reins, et la barque se mit en mouve- ment, avec lenteur. Ils marchèrent. Leurs pieds, retom- bant en cadence, battaient lourdement les larges dalles du chemin. Leur groupe confus mettait une blancheur vague au fond du crépuscule. Les dos se courbaient, les nuques se penchaient, les échines s'arc-boutaient. Attachée au bout de la corde, la grappe humaine s'avançait d'un effort pesant et continu. Puis elle se perdait dans l'éloignement, et parmi les berges pous- siéreuses, dans la monotonie des eaux livides, le tra- vail des misérables se rapetissait, devenait un grêle cheminement d'insectes, s'acharnant à rouler un grain, le long d'une pente. Un d'eux chanta le chant des haleurs. Ohé, ho, — ohé, ho, — ohé, hisse... Il monta, ce large chant, vers le ciel, où s'allumaient d'impassibles étoiles. C'était d'abord une mélodie guttu- rale, charriant de rauques sonorités, qui vibraient dans l'air, comme des aboiements. Il roulait sur les berges, frôlait les têtes soyeuses des roseaux, répandant sur les eaux plombées sa pesante mélancolie. Les syllabes trahiaient, s'allongeaient interminablement ; aucun écho ne les répétait. Et la monotonie du chant disait bien le labeur des forçats, leur dur effort répété au long des jours, l'anéantissement de la pensée qui somnole, tour- 22 LES HALEURS nant dans im cercle étroit, comme un cheval de ma- nège. Ohé, — ho, — ohé, — ho, — ohé, — hisse. Il monta dans la nuit, ce chant désespéré, cherchant à étendre ses ailes dans l'air pesant, embrasé, où les créatures étouffaient. Plus haut, là haut, bien haut, il cherchait les grands souffles vivifiants, les haleines qui sortaient des bois de sapins, chargées d'arômes rési- neux, les nappes d'air froid, où palpitent les étoiles. On eût dit qu'il voulait retrouver la vie, mais il n'y parve- nait pas. Ses ailes se brisaient et il retombait, meurtri; alors il se résignait, se fondait dans une plainte élargie dont la tranquille désespérance semblait plus émou- vante encore. Ohé, — ho, — ohé, — ho, — ohé, — hisse. Il monta dans la nuit, ce chant ! — qui dira sa tristesse, à l'heure où la rivière roule un flot de cuivre, entre ses berges démesurémejit agrandies, à l'heure où les eaux lourdes se peuplent du bondissement des carpes et des barbeaux, à l'heure où les chalands s'arrêtent et allument leurs feux rouges, pareils à des prunelles monstrueuses. Il voile, ce chant, la beauté des eaux, il donne au cou- chant une mélancolie funèbre, il fait monter dans notre âme une aspiration nostalgique vers les pays irréels, où la souffrance et la misère n'existent pas... L'homme, réconforté, tirait plus fprt que les autres. Le mousse s'était attelé derrière lui, et de temps à autre il lui adressait une parole. Ils avançaient lentement. La grappe hiunaine hale- tait. Les lourds souliers ferrés de pioches s'agrip- 23 Emile Moselly paient aux larges dalles du chemin, les éraflant. Alors une fusée d'étincelles semblait jaillir de la pierre. — Attention! cria l'homme qui tenait la barre. Un roulement sourd montait des profondeurs du val. Le canal s'élargissait, entrait dans la rivière, large comme une mer. Le bruit se rapprochait, la nappe du flot se brisait sur un barrage, les vagues précipitées sur des enrochements se couvraient d'un moutonnement d'écume, dont la blancheur vague se mouvait au fond de la nuit. L'endroit était dangereux. Il arrivait parfois que les bateaux, aspirés par le courant, déviaient de leur route et allaient se fracasser sur les rocs. L'eau grasse, huileuse, en apparence endormie, courait maintenant, coupée de rides profondes, dont le frémissement trahissait la force du courant, l'agitation intérieure des nappes. Les haleurs se raidirent, tendant la corde qui fouettait derrière eux les têtes inquiètes des roseaux. — Ça y est, cria l'homme au gouvernail. On respira, le passage dangereux était franchi. Puis l'équipe se remit en route. La chaleur augmentait. Ils longeaient maintenant la falaise de rocs tailladés, et les bancs de pierre, brûlés de soleil tout le jour, leur souf- flaient au visage une haleine de feu, comme un souffle de forge. La nuit était venue. Ils marchaient, tandis qu'une pesanteur somnolente enténébrait leurs cerveaux, endormait leurs pensées, au rythme de ces battements de pieds retombant sur les dalles. Ils ne chantaient plus. Parfois ils traversaient des ponceaux qu'ils ne voyaient pas, qu'ils devinaient seulement au roulement sonore de leur pas ébranlant 24 LES HALEURS les madriers. Le val s'ouvrit. Des eaux mortes devaient s'étaler dans la profondeur des prairies, où des saules étètés levaient la noirceur de leurs têtes dilTormes. Un souflle d'air plus larg-e, une odeur d'eau croupissante les avertissait seulement de la présence des étangs, obstrués de roseaux, où le peuple des étourneaux, réfu- gié à la tombée du soir, jacassait confusément. La campagne avait disparu; les rives, les coteaux de vigne, les chènevières grasses, tout reposait derrière le mur épais des ténèbres. Des lueurs rouges trouant la nuit, révélaient un village, rappelaient que des hommes vivaient là. Seul le fleuve, dans tout ce noir étalé sur la terre, vivait; il charriait étrangement une coulée pâle de ciel, un miroitement tranquille, où frissonnaient quelques étoiles. Et voilà qu'il se mourait lui aussi, qu'il s'éteignait, laissant ses dernières lueurs s'engluer dans le réseau des ténèbres, où la joie du monde agonisait. On croisait parfois un grand chaland chargé de bois ou de gueuses de fonte, et qui dérivait au fil de l'eau. Des pas d'enfants sonnaient sur le bordage, des odeurs de cuisines traînaient dans l'air. On voyait la croupe du cheval, dans l'écurie flottante, la lanlpe de cuivre jetant son rayonnement paisible sur la table, dans la maisonnette de l'avant. Cela ne durait qu'un instant. Debout à la barre, les bras croisés, le pilote poussait de la hanche le gouvernail qui tournait avec un grince- ment mélancolique et les deux bateaux se côtoyaient sans que les équipages aient songé à échanger les appels vibrants, cpii bondissent sur l'eau, par les ma- tins trempés de lumière. Les haleurs marchaient. Tout à coup le vagabond tomba. 2a les retours. — a , Emile Moselijr Il s'affala malencontreusement, manquant d'entraîner les camarades dans sa chute. Une voix dit : — Ça ne tient pas debout, et ça veut travailler! — A l'hôpital, dit un autre. L'homme se releva, il s'affermit sur ses jambes, et s'attela à la corde. On repartit. L'air retombait, immobile, pâmé. Une sorte de torpeur angoissée pesait sur les choses, sur les ormes du chemin, sur les talus herbeux. L'horizon flambait d'éclairs de chaleur : des rougeoiements, s'élargissant soudain, illu- minaient des amoncellements de nuages, noirs et lourds. L'homme tomba pour la seconde fois. Cette fois il ne se releva pas : — Arrête, cria un des haleurs à l'homme du gouver- nail. On entendit le bruit de la gaffe, descendant dans l'eau, éraflant le bordage, pour maintenir le bateau : — Y ne remue plus. — C'est un coup de chaleur. — Donne voir des allumettes. Le mousse tendit sa boîte. Une flamme jaillit, bleuâtre, éclairant la masse du corps gisant sur le chemin. La tête avait dû porter sur le pavé, un trou saignait à la tempe. Puis la petite lueur s'éteignit. Et la nuit de nouveau se rua sur le misérable. — Allume encore. De nouveau la petite lueur promena sur le corps sa clarté phosphorescente. Un homme prit la tête et la souleva ; les yeux vitreux, étaient fixes, enfermant dans leurs prunelles une monstrueuse épouvante. Alors l'homme se baissa. On l'entendit qui froissait 26 LES HALEURS les vêtements, déboutonnait la chemise. Sa main palpait la poitrine. — Son cœur ne bat plus. Faut croire qu'il est mort. Et les hautes statures des haleurs se desshiaient vague- ment sur le ciel noir,, baissant leurs nuques, sous le soutïle mystérieux de l'au-delà. Et faisant cercle autour du cadavre, ils se tenaient hagards, écoutant dans l'ombre le piétinement d'une chose invisible. Un d'eux parla, pour dire quekjue chose, pour rompre ce silence affolant ; — Un pauv' trimardeur. Y n'avait pas l'air portant, quand il est venu au chantier. Le mousse répondit : — T'en v'ià une affaire. On peut pas l'iaisser là comme un chien. Un autre exprima un avis : — Portons-le à l'usine de la prise d'eau. Le bâtiment so trouvait à une centaine de mètres en amont, au bord de la rivière. Les fenêtres largement éclairées se rayaient d'ombres gigantesques, qui glis- saient rapides, comme des vols d'oiseaux, et semblaient tournoyer sans trêve. Tombant d'une baie vitrée, la clarté s'émiettait sur l'eau, faisait un chemin mouvant de lumière. Et ces moires d'argent se tordant dans les remous, semblaient le ruissellement d'un trésor prodi- gieux, tandis que la rivière coulait sans bruit alentour, sous des ténèbres opaques. Deux haleurs prirent le corps par les jambes et par les bras. Comme il était très lourd, ils s'arrêtaient pour souffler, et d'autres les reprenaient. Ils arrivèrent à l'usine. Sous le grésillement des lampes électriques, dont les 27 \ Emile Moselly globes laiteux disparaissaient dans un tourbillon de papillons nocturnes, l'immense hall s'animait de la tré- pidation silencieuse des machines. Les pompes éléva- toires, dans leurs })âtis de fonte rivés au sol, semblaient des monstres accroupis, peinant pour des besognes inconnues. Les coups sourds des pistons revenant à intervalles égaux, ébranlaient les masses de béton, dans leurs fondements. Pas une fumée, pas un siffle- ment. Le plancher luisait. A peine entendait-on par moments le clapotement d'une soupape, et le bruit de fleuve, que formaient les eaux, lancées en cataractes dans les tuyaux de la conduite. L'air était humide, et le mouvement de ces géants de for, travaillant régulière- ment, semblait plus effrayant au milieu de ce silence. Un mécanicien surveillait, se promenait dans les machines, tenant à la main une poignée d'étoupes hui- leuses. Il s'avança curieusement, lorsqu'on eut posé le corps du vagabond en pleine clarté, et quand on lui eut raconté l'histoire, il s'en alla, indifférent. Effrayé par leur fixité, le mousse ferma les yeux du mort. Dès lors un immense apaisement parut flotter sur ses traits. Le trou à la tempe ne saignait plus. Une mèche de cheveux blonds, légère comme une soie floche, s'était collée dans les caillots de sang. La contraction des muscles de la face se détendait peu à peu, faisait place à une impression de sérénité. Parti pour la région loin- taine, il y marchait paisiblement et son visage, qui dans sa rigidité semblait enfermer un secret, laissait par moment rayonner quelque chose du calme surhumain, qui l'environnait là-bas. Il paraissait très grand, étendu 28 LES HALEURS sur les dalles, sous le ^ivre étincelant des lampes élec- triques. Et les haleurs se taisaient, surpris à la fois par la brutalité de cette mort, un peu effarés aussi par l'anonymat de ce cadavre. Une pitié monta au cœur de ces esclaves, racorni par la souffrance. — Pauvr' zig^, mourir comme ça, sur un grand chemin ! — Ça vaut mieux; y traînait la galère, lui aussi ! — Au moins y n' souffre plus. — D'où qu'y pouvait venir? Faut le fouiller, on verra s'il avait des papiers. Un travailleur se baissa et se mit en devoir d'ouvrir le col de la chemise. Il tâtonnait, les doigts hésitants. Les chairs gonflées rendaient l'opération difficile. A la fin, l'étoffe céda, et le torse apparut dans l'entre- bâillement de la chemise : les muscles saillaient comme des cordes, les côtes trouaient la peau comme la carcasse d'une bête étiqu<°;. Des cicatrices balafraient cette poi- trine de rayures blanches. Le mousse poussa un cri étouffé : le doigt tendu, il indiquait quelque chose : — Là ! là, voyez donc. Au-dessus du cœur, se dessinait un tatouage gros- sièrement figuré. Cela représentait une pensée, un cœur percé d'une flèche, et un forgeron del)out près d'une enclume, les reins ceinturés d'un tablier de cuir. Le mousse bégayait : — Mon frère... le Victorin... avait le tout pareil. — Pas possible ! — Mais si, on lui avait fait ça au régiment. Même (ju'il avait aussi sur le bras gauche le nom de sa bonne amie : Zélia. 29 les retours. — 2. Emile Moselly Un des ouvriers releva la manche, le nom apparaissait en grosses lettres bleues. Le mousse s'affala près du cadavre : — C'est mon frère, c'est not' Victorin ! Il s'agenouillait, et prenait la main inerte, contemplant longuement la face immobile. — Faut-y s'retrouver comme ça ! Les haleurs s^effarèrent. Un d'eux qui était de l'endroit, dit : — C'est vrai, y avait quêque chose dans sa figure qui me revenait. Les machines, autour des travailleurs, emplissaient le vide de leur trépidation silencieuse. Le mousse sanglotait... — Quoi donc qu'y vont dire, chez nous ? Ils sursautèrent à cette idée. Personne n'y avait pensé jusque-là. Et voilà qu'ils avaient peur, en songeant aux vieux qui dormaient là bas, dans leur petite maison. Comment prendraient-ils la chose ? Ils se regardaient, immobiles. Un d'eux dit : — On n'va pas moisir ici. Ce mot les décida ; ils posèrent le corps sur un bran- card qui se trouvait là, dans un coin de l'usine et se mirent en route. Leurs pas sonnèrent sur le chemin de halage. Le mousse sanglotait. Le groupe entra dans la nuit. * * * On arrivait au village. Le cortège s'engagea dans les ruelles, à travers les jardins. L'orage avait dû glisser le long des côtes. Des 3o LES HALEURS draps que des femmes avaient mis sécher, sur des cor- deaux, s'agitaient vaguement, comme des blancheurs spectrales. Mince comme un fil, le croissant de la lune, à son dernier quartier, flottait mélancolique- ment dans les couches d'air bleuâtre. Et la lueur qu'elle versait sm* les champs se noyait étrangement d'ombre. On n'entendait rien, que le petit bruit des sources, bouillonnant dans la prairie, sous le chuchotement inquiet des roseaux. Le corps était très lourd. Parfois un des porteurs butait contre une pierre et poussait un juron. — Sale corvée ! dit l'un d'eux. Les maisons se dessinaient dans la nuit. Les pignons, les toits s'écrasaient dans un entasse- ment confus. Tout cela dormait de ce sommeil lourd, accablé, qui s'empare des choses, comme des êtres à la campagne. Le silence pesait sur les toits, pénétrait les murs, suintait de chaque pierre. Pénétrant au cœur des logis les mieux clos, il semblait avoir arrêté les batte- ments de la vie. Les maisons de culture, profilant leurs laites sur la nuit, comme des échines lasses, étaient pareilles à de grands animaux accroupis. Et les hommes, sans s'en rendre compte, subissaient cette conta- ^«^ion de la peur, terrifiante, lorsqu'elle émane des choses. — Nous arrivons, dit le mousse, qui les précédait. Une grande forme noire se dressait dans la nuit : le clocher ! Ils passèrent si près, et le silence était si profond, qu'ils entendirent distinctement le tic-tac de l'horloge, lent et régulier, éparpillant ses battements dans la nuit. Tout à coup il y eut un grincement de poulies et de res- 3i Emile Moselly sorts, et l'heure sonna, avec cette vibration grave, que le bronze répand dans les espaces silencieux de la nuit. Un d'eux compta : — Dix, onze, douze. Minuit. Le mot les fit tressaillir. Ils sentaient sur leurs joues le passage des sons, pareil au frôlement d'une aile. Comme il se faisait tard! Toutes ces allées et venues leur avaient pris du temps. Soudain un chien aboya tout près d'eux, au fond d'une grange. L'animal, fou de peur, avait flairé au passage une chose insolite. On l'entendait se démener, collant son museau au bas de la porte et poussant un souffle bruyant. Puis son aboiement se termina en un son filé, étranglé d'épouvante. Il aboyait à la mort. Et d'autres chiens lui répondaient, là-bas, au fond des fermes per- dues dans la campagne... Le silence de la nuit se dispersa, déchiré en lambeaux par cette clameur d'angoisse, ce sanglotement désespéré de l'invisible. Puis le calme revint; on n'entendit plus que le mâchonnement des vaches, ruminant devant leurs crèches. — Oh! mon Dieu, dit le mousse. Il s'arrêta, tendant les bras dans l'ombre. Il indiquait une masure, dont le toit s'écrasait au fond de la nuit. Une traînée de lumière rougeâtre, fil- trant par les carreaux, glissait dans la rue, brillait dans une flaque de purin, au coin d'un fumier, faisait luire plus loin le fer d'un soc. — Quoi qu'y a? dit une voix. 32 LES HALEURS — Vois donc. Nos gens ne sont pas couchés ! Les hommes s'approchèrent, et ce qu'ils virent, les efîara. Derrière les vitres poussiéreuses, verdies par l'humi- dité, obstruées de toiles d'araignée, la salle basse apparaissait, avec des chapelets d'oignons pendus aux solives brunes du plafond. Des buffets éventrés s'ac- croupissaient dans des coins grouillants d'ombre. Posée sur la table, parmi les vaisselles du souper, une chan- delle, pleurant des larmes de suif, éclairait la pièce; la petite flamme jaune, pàlote, vacillait, et sa lueur était aussitôt engloutie dans les ténèbres qui rôdaient. Au fond de la chambre, un grand rideau à fleurs dissi- mulait une alcôve, et des souffles imperceptibles agi- taient faiblement les plis légers de l'étoffe, comme si une main invisible les avait frôlés. Assis devant la cheminée, dont le manteau, noir de suie, se perdait dans l'ombre, les deux vieux dormaient. La chandelle projetait sur leurs faces frustes, une lueur hésitante, où flottaient des ombres impalpables, animées d'une vie inquiète. Le sommeil les avait pris au milieu de leur travail, les avait assommés devant l'âtre plein de cendres. La vieille raccommodait un grand épervier, une aiguille de buis poli luisait entre ses doigts noueux. Sa pauvre tête, coiffée d'un bonnet ouaté, d'où sortaient sur les tempes quelques mèches de cheveux gris, retombait par saccades, sur sa poi- trine, avec une sorte de déclanchement lamentable. Sa bouche édentée, grande ouverte, était comme un trou noir dans sa face. Le vieux, écroulé sur sa chaise, dor- mait anéanti, ses bras tombant inertes le long de son corps. Ils étaient rudes et émouvants. Autour d'eux 33 Emile Moselly s'amoncelaient des cordeaux, des paniers de jonc, des nasses d'osier vert. Et pendant qu'ils dormaient, les choses habituellement inertes, les meubles, les solives brunes, les engins de pêche, s'animaient d'une sorte de vie, sous la lumière hésitante, et dans les coins grouil- lants d'ombre, des bêtes s'accroupissaient. Les haleurs regardaient cette scène, vaguement émus. Pourquoi les vieux n'étaient-ils pas couchés à cette heure? Quel obscur pressentiment les avait avertis du drame qui se passait, tout près d'eux, dans la nuit? Pourquoi avaient-ils prolongé leur veillée, comme s'ils avaient attendu la chose? Ils ne savaient rien, les pauvres vieux. Pourtant le malheur était là, à leur porte! Ils avaient beau dormir, ne pas savoir, le réveil viendrait nécessairement, et avec lui la catastrophe! C'étaient des êtres frustes, ces haleurs, des misérables au cœur racorni et calleux, comme' la paume de leurs mains. Pourtant ils hésitaient, s'attardaient, tandis que le corps gisait devant eux sur la chaussée. Et ils n'osaient pas frapper la porte, et passer ce seuil, que la mort franchirait, en même temps qu'eux. Les autres, dans la maison, dormaient leur sommeil de vieux, à petits coups, ce sommeil léger que le moindre bruit dérange. Ils étaient tranquilles. Pourtant la dou- leur se tenait à côté d'eux, vigilante, immobile. Les haleurs n'osaient pas entrer. Ils parlèrent : — Drôle de nouvelle, tout d'même, à annoncer à des parents. — Ils n'ont pas l'air de se douter de quelque chose. Y ne remuent pas. Gomme c'est drôle. — Y n'savent pas c'qu'y a derrière la porte. 34 LES HALEURS — Y en a autant pour tout le monde. — Pauv' vieux. — C'est vrai qu'y n'ont pas de chance. Y z'ont trimé dur pour élever leurs enfants! Tous ces petiots, ça coûte gros à habiller et à noiurir. Le vieux, qui était fort comme un arbre, était tout tordu de douleurs. Il a gagné ça à travailler, dans la froidure qui monte de la rivière. — C'était un rude homme, dans son temps. Les pieds dans un cuveau, y levait un sac de trois cents sur ses épaules. — Les pauv' gens. — Bah. Y z'avaient fait leur deuil de leur garçon, quand il est parti. Le vieux répétait qu'il était mort pour lui, autant dire. — Oui, on dit ça, mais n'empêche. A ce moment, le pêcheur remua, sur sa chaise, comme s'il allait se réveiller, et les hommes sursau- tèrent. Mais non. Il dormait toujours. Le mousse se décida : — Faut en finir. Il se dirigea résolument vers la porte. On entendit ses souliers ferrés qui roulaient pesamment sur les dalles du corridor. Les hommes regardaient par la fenêtre. Le mousse entra dans la chambre. Les vieux se réveillèrent au bruit, un peu honteux d'être surpris : Ils se frottaient les yeux. L'enfant prononça quelques paroles. Il faisait un geste dans la direction de la rue. Les vieux le faisaient répéter, ne comprenant pas. Tout à coup, une stupeur s'abattit sur eux, et les écrasa. 35 Emile Moselly Tournant sur lui-même, les bras levés, le vieux frappa le sol du talon. La mère prit le coin de son tablier et le porta à ses yeux. Elle pleurait silencieuse- ment, accablée, sans un geste de révolte. Elle tournait le dos; seul un long frissonnement, parcourant son échine, trahissait le sanglotement. — Allons-y, dit un des haleurs. Et saisissant le corps inerte, ils s'avancèrent. Les pieds du cadavre entrèrent d'abord dans la chambre. On vit les espadrilles poussiéreuses, percées d'un trou, où passait l'orteil saignant. Puis le corps émergeait lentement de l'ombre, entrait dans le rayonnement de la chandelle, que le vieux tenait très haut, près des ^olives brunes du plafond. La clarté tombant d'aplomb fouillait la maigre poi- trine, où les côtes saillaient. Et le masque tragique déjà modelé par le pouce de la destructrice, se nimbait dans un large assoupissement : on eût dit que le misé- reux était content de rentrer dans sa maison, de retrouver l'abri des jours heureux, après avoir trimé sur la grand route. Là-bas au fond de l'alcôve, le rideau se soulevait, et des têtes d'enfants ébouriffées regardaient la scène, curieusement. Un des haleurs parla : — Vous n'vous attendiez pas à la chose. — Tout d'même, répondit le vieux. Puis il dit encore, montrant un lit au fond de l'alcôve : — Couchez-le là. La mère s'empressait, les mains tremblantes. Elle tira des draps blancs de l'armoire, donna une chemise de grosse toile. Et quand le mort fut couché, elle plaça au 36 LES IIALEURS chevet un verre où un brin de buis trempait dans l'eau bénite. Puis elle aspergea le corps, lit un signe de croix et tombant à genoux, se mit en prières. On voyait ses mâchoires qui remuaient. Un à un, les haleurs défilèrent, la casquette à la main. Ils secouaient la branche, avec un regard de côté et des hochements de tête. Le vieux les reconduisit sur la porte. La lune était couchée, la nuit noire. Il dit encore : — Le v'ià tranquille, maintenant! Tout d'même. Y n'nous a jamais fait que du mal! Emile Moselly les retours. — 3 LE SOLDAT LE SOLDAT Et allez donc ! Jean Gérard d'un brusque mouvement d'épaule, envoya l'as de carreau rouler dans le fossé. Ils étaient là, une compagnie de lignards, revenant de la guerre d'Italie, regagnant à Metz leur garnison. On marchait depuis le petit jour; la grand halte venue, les faisceaux formés, les hommes s'étaient couchés sur la route, vautrés dans la poussière, pendant que d'autres s'empressaient autour des feux clairs, où bouillaient les marmites de campement, contenant le café. Jean Gérard jetait les yeux autour de lui. Il se sen- tait terriblement las, ayant roulé sa bosse, en Crimée, en Italie, en Afrique. Pour s'embarquer dans des ports, il avait traversé la France, trois ou quatre fois dans tous les sens. Le frottement du sac avait usé sa capote entre les deux épaules : l'étoffe élimée, mince comme une toile d'araignée, laissait passer le soleil, quand on la pendait à un arbre pour la brosser, et qu'on la regar- dait à contre-jour. C'était long, deux congés de sept ans. Il avait vécu dans des pays de sauvages ! Là-bas, en Crimée, les gens habitaient des gourbis, des trous creusés dans la terre, comme des bêtes. Il n'y avait pas de chemins, 4i Emile Moselljr mais des ravins coupés d'ornières, hautes comme la jambe. Et les chariots bizarres, étaient assemblés avec des chevilles de bois, sans qu'un seul clou entrât dans leur charpente. Voilà les seules notions que Jean Gérard avait rapportées de ses voyages, car c'était un simple, ayant l'habitude de tout comparer aux choses familières à son enfance. Cette fois, ça y était, on tenait le bon bout. Depuis quelques jours, à vrai dire, on pouvait se dou- ter que le pays approchait. Dans les villages éche- lonnés sur la route, les pots à mouchots s'aUgnaient au-dessus des granges, tout piaillants de bestioles por- tant la becquée à leurs petits. Des vignes s'étayaient à flanc de coteau, dont les terres croulantes étaient sou- tenues par des murots de pierres sèches. Il faisait bon y cueillir des escargots, par les jours de pluie. Tout ça sentait bon la Lorraine. Une immense douceur envahissait le vieux brisquard à la vue du pays. C'était comme une joie de vivre, dont la caresse coulait par tous ses membres, délassait ses muscles, allégeait son corps. Il la respirait, cette joie, avec l'odeur forte des sainfoins et des colzas en fleurs, ondulant de chaque côté de la route. Et il lui prenait des envies folles de gambader, comme un pou- lain lâché dans les prés, de courir devant lui, jusqu'au moment où la flèche du clocher pointerait au fond du val. Une ferme était posée, à deux pas, au milieu des champs : une masure dont le toit de tuile glissait, tou- chait presque le sol. Une femme en sortit, et elle se mit à appeler ses poules, leur jetant des poignées d'avoine qu'elle prenait dans son tablier : « Petits, cocottes, 42 LE SOLDAT petits, cocottes ». Les volailles picorant se pressaient à ses pieds dans un tournoiement d'ailes battantes. Alors Jean Gérard chancela, il crut entendre sa mère qui avait, elle aussi, ce long chantonnement de la voix, pour rassembler ses poulets. Et son cœur se gonfla de choses inexprimables. Il dut s'asseoir, les jambes coupées par l'émotion. Gomme un affamé regarde un pain, il regardait les champs, goulûment, s'emplissant les yeux. Les blés de mai déjà grands, étaient parcourus d'un frissonnement de chose vivante sous le vent. Les luzernes tressail- laient sur le ventre nu de la terre. Des détails, insigni- fiants pour d'autres yeux, un buisson de prunelles au creux d'un chemin, une charrue abandonnée dans les versaines, un pré enclavé de landres de bois sec, lui rappelant le temps où il chassait les chevaux devant la charrue, faisaient sourdre en lui une émotion abon- dante. Le ciel même ne ressemblait pas au ciel des autres pays. Posé sur les terres comme un. cristal vibrant, efïleuré de grands souffles, il rayonnait d'un éclat humide à travers les branches des ormes, embuées d'une brume de bourgeons. Dans la compagnie, on devait s'apercevoir de quelque chose. Des farceurs dévisageaient Jean Gérard, un Bourguignon trapu et noueux comme un cep l'inter- pella : — Hé, pays, on va téter une fameuse goutte. Un autre clignait des yeux, et finaud, humait dans le vent une odeur imaginaire : — Dis donc, v'ià ta mère qui met la soupe au cror mail. Toute la compagnie s'esclaffa, secouée d'un gros rire. 43 Emile Moselly Jean Gérard ne répondait pas, restait tout rêveur, le reg-ard perdu dans le lointain. Dans une prairie en contre-bas, un ruisseau coulait, rapide, tournoyant, glissant sur des lits d'herbes bril- lantes. La nappe verte, frétillant au soleil, s'en allait devant lui, semblant lui montrer le chemin. Il coulait là-bas, dans les prés parsemés de saules difformes. Jean Gérard y avait fait de bonnes parties, étant enfant, quand il péchait des moutoiles, avec une cliarpagne d'osier, qu'il promenait au creux des fosses. Une cloche sonna au loin, dans un village blotti au creux d'un sillon. Les sons montaient avec les sautes de vent, couraient au ras du sol, et leur vibration lente s'assoupissait parfois jusqu'à se confondre avec le ron- flement sourd des bourdons bleus butinant dans les champs de trèfles. Ce son éveilla dans l'âme de Jean Gérard un lointain souvenir. Il compta sur ses doigts. On était parti de Marseille depuis vingt jours. La fête patronale de son village, de Saint-Pierre-sous-Treiche tombait justement ce dimanche-là. Et dans un afllux soudain, lumineux, implacable, comme une hallucination, tous les souve- nirs du passé revinrent à sa mémoire... Depuis quatorze ans on fêtait sans lui la- saint Sta- nislas. Et il s'attendrissait à cette pensée, revoyant un à un les détails de la chose : les femmes allaient et venaient dans les jardins, chauft'ant les fours, les bras retroussés jusqu'aux coudes, blancs de farine, des grumeaux de pâte attachés à leur peau. Des fumées bleues rôdaient, s'accrochant aux branches frileuses des pruniers. Une odeur de galette au lard et de pain chaud flottait, exquise, sortait des bougeries et des hangars, pénétrait 44 \ LE SOLDAT le village entier. Puis venait la fête : après la grand messe, les familles s'attablaient dans les cassines om- breuses, pour lamper le vin gris, manger les quiches aux qiiouèches et les tartes au semsan qu'on servait sur des volettes d'osier et qu'on fendait en deux d'un coup de couteau. Et le soir, dans la grande salle du père Bigeard, dont le plancher élastique vibrait sous les pas, sautait comme un tremplin, garçons et filles tournoyaient, sous la clarté filante des quinquets, tandis que par la fenêtre ouverte sur le ciel braisillant d'étoiles, de grands souffles pâmés montaient des bois, montaient de la Moselle, où dormaient des chalands trapus. Ce fut en lui un désir soudain, qui le mit sur ses pieds comme un coup de fouet. Il alla trouver le lieutenant qui commandait la compagnie. L'officier assis sur une borne, fumait une courte pipe de merisier, et fouettait de sa badine ses houseaux de toile, gris de poussière: — Faites excuse, mon lieutenant. Ce serait t'y un effet de vot'bonté de m'donner la permission de la journée? C'est la fête chez nous et on n'est guère qu'à une trentaine de kilomètres. Ça me ferait gros cœur de manquer ça! Je m'arrangerai bien pour rattraper la colonne demain matin. L'officier sourit et dit avec bonté : — C'est trop juste mon garçon ; vous nous retrouverez demain à Pont-à-Mousson. Jean Gérard alla poser son sac, son fusil, son équipe- ment dans la voiture du muletier qui suivait la compa- gnie. Il marchait, prenant à travers champs des raccourcis. Il marchait d'un bon pas de lignard, les basques de sa 45 Les retours. — 3. Emile Moselly capote envolées derrière lui, le képi posé sur sa nuque que le soleil mordait. Colombey, Crépey, Ochey, défilè- rent comme dans un rêve. A mesure qu'il approchait, une fièvre, une impatience d'arriver le prenaient, préci- pitant ses pas sur la route blanche. Son cœur battait à se rompre ; ses artères gonflées mettaient dans sa gorge haletante une palpitation tumultueuse. Il allait défaillir : heureusement il rencontra un garçon meunier qui conduisait une voiture chargée de sacs ; la grosse cloche battant sous l'essieu semait son tintement monotone sur la chaussée, tintement qui parfois s'assoupissait, et reprenait plus vif, quand un cahot survenait. Jean Gérard s'installa de son mieux sur la bâche de toile verte et la route s'acheva, de cette façon, sans trop d'encombre. Dix heures sonnaient comme il débouchait en haut de la côte de Saint-Pierre-sous-Treiche. * Il s'arrêta, l'âme traversée d'un flot de sentiments confus, de joies vagues et d'appréhensions de toute sorte. Rien n'était changé. Le petit village lorrain au bas de la pente, montrait son unique rue, criblée de soleil, ses maisons basses posées au bord des chènevières, comme des jouets d'enfant. Jean Gérard voyait très bien les fumiers, les vieux puits, la place vide avec ses marron- niers ronds. Il s'attendrissait, retrouvant ces choses à la même place, heureuses, tranquilles, immuables, n'ayant pas l'air de savoir qu'il existât des Turcs, des Tartares, des. Kayserlicks. Il s'étonnait ; au bord des prés, la 46 LE SOLDAT source bouillonnante lavait les planches vermoulues du lavoir, où les battoirs sonnaient dans la semaine. Une rangée de grands peupliers frissonnants dans la lumière matinale, s'avivaient à leurs cimes de lueurs d'argent sous les souilles frais qui montaient de la Moselle. Gomme ils avaient grandi pendant son absence ! Et ces choses, immobiles sous le soleil, exhalaient une tendresse si émouvante, qu'il avait envie de tendre ses bras pour les saisir et les étreindre. Pourtant il ne se décidait pas à dégringoler la côte. Il avait peur, sans trop savoir de quoi. C'était quelque chose comme une vague terreur, une pensée supersti- tieuse dissimulé^e derrière sa joie, qui la troublait. Que faisaient le vieux Fan et la mère Gélestine, déjà âgés quand il était parti? Il avait peur d'apprendre des morts, des malheurs irréparables, et il songeait aussi à des histoires de maisons où le feu avait pris, des his- toires qui lui revenaient à ce moment, et qui lui faisaient peur. Dans les premiers temps de son congé, il leur avait adressé quelques lettres très courtes, car le porte-plume pesait terriblement à ses gros doigts, habitués à tenir le manche de la charrue. Les vieux lui faisaient donner un mot de réponse par le maître d'école. Mais cette corres- pondance avait cessé quand il était parti dans les pays étrangers, les vieux n'ayant pas su se reconnaître dans le fatras des indications compliquées, dans l'orthographe des noms bizarres. Lui-même avait presque oublié ce village, qui se faisait tout petit, au delà des mers, dans ces pays sans fm, aux étendues éternellement silen- cieuses... Avaient-ils acheté la chènevière si longtemps convoi- 47 Emile Moselly tée? Le bien n'avait-il pas dépéri sous leur gouverna- tion? Avec une douceur recueillie, il pensait aussi à la Virginie Millet, sa bonne amie, une belle brune à la peau fraîche, qu'il roulait dans les chevrottes de foin craquant, à la fenaison, qu'il embrassait dans les gran- ges, oh ! rien de plus. Et il n'espérait rien, car elle devait être mariée, à cette heure ! Comme il regrettait son silence maintenant ! Toute sa tendresse s'exaspérait de l'imminence d'un malheur, d'une catastrophe qu'il tremblait d'apprendre. Gomme on était bête de ne pas donner signe de vie, pour se manger les sangs au retour. Tout à coup il aperçut une vieille femme, la Babette, une pauvre créature toute grise, qu'il reconnut. Elle n'avait guère changé, celle-là, ayant si peu de chair sur les os que le temps n'avait pas de prise sur sa carcasse. Elle étendait dans un maigre friche des poignées de chanvre, marchant à pas menus, toussotant, toute à sa besogne. Elle se confondait avec la terre, dont elle avait la couleur grisâtre, la muette somnolence. — Eh bien, la Babette, — cria-t-il, — on ne reconnaît donc plus son monde ! ça sèche bien par ce temps-là ! — Vous êtes bien poli, monsieur le soldat, mais faites excuse, je ne vous remets pas. — Jean Gérard, dit-il : Jean Gérard, le fils du Fan. — Seigneur Jésus, t'y possible! fit la vieille en joignant les mains. Mais on vous croyait mort au pays. Gomme vous êtes changé ! Jean Gérard tressaillit. Où était le jeune gars bien planté, aux joues rondes, qui avait quitté le pays ? Un vieux brisquard revenait, au nez en lame de couteau, à 48 LE SOLDAT la moustache rude, aux yeux luisants comme ceux d'un épervier. Il balbutiait, le cœur tordu d'angoisse, ayant peur d'apprendre des choses. Il se décida, tout d'un coup, comme on se jette à l'eau : — Et les vieux, quoi qu'y font ? — Y vont leur petit train train, tout doucement! Ça va rudement les émotionner de vous voir. Elle parlait encore, que déjà Jean Gérard s'était engagé dans la ravine. Il descendait, se retenant aux branches basses des pommiers. Des endroits qu'il recon- naissait lui soufïlaieAt au passage une odeur de passé, émouvante. Il avait conduit ses vaches, dans ce friche lavé par le ruissellement d'une source. Dans ces buis- sons de cornouiller, il avait tendu des sauterelles pour attraper les verdiers et les mésanges. Arrivé au bas de la pente, il réfléchit : tout de même, fallait pas rentrer chez soi, comme un évaltonné, on avait vu des vieux qui mouraient de saisissement, le cœur décroché par la secousse. Il entra boire un verre de bière, dans une auberge, au bord de la route. Il s'assit dans une petite cour, fai- sant effort pour rassembler ses idées. Tout près de lui, des jeunes paysans jouaient aux quilles avec des contestations, des éclats de voix, que Jean Gérard entendait comme dans un rêve. Quand deux joueurs abattaient un nombre égal, ils criaient rampo en trépignant la terre du pied, et en s'assom- niant de bourrades enthousiastes. Jean Gérard percevait vaguement le glissement mat de la boule, sur les plan- ches du jeu, le fracassement des quilles, cerclées de fer, projetées sur le talus. Ces bruits familiers à son 49 Emile Moselly enfance, le jetaient dans une rêverie prolongée, créant autour de lui une sorte d'illusion à la fois émouvante et fugace. Soudain, son attention fut attirée par le requilleur, un jeune garçon qui relevait les quilles, et qu'un autre avait remplacé au bout du jeu. Il y avait dans son visage une expression étrange qui attirait Jean Gérard. L'enfant était effroyablement ivre, les grands ayant trouvé drôle de le faire boire dans leurs verres, par manière de passe-temps. Il manquait de s'affaler à chaque pas, semant des pièces blanches et des gros sous qu'il tenait dans sa main. Il pouvait avoir douze ans. Un des gars s'adressant à l'enfant lui dit : — Si le père Fan te voyait dans cet état, y pourrait des fois te tanner la peau ! Jean Gérard tressaillit. Saisissant l'enfant par le poi- gnet, il le força à s'asseoir devant lui, sous son regard aigu qui le fouillait : — Gomment t'appelles-tu ? — Victor Gérard, dit l'enfant. Maman, c'est la Géles- tine. — Eh bien, mon vieux, je suis ton frère. Tu sais bien le Jean Gérard qu'est parti soldat. Du coup, l'émotion dessoûla l'enfant. Il répétait machinalement : — T'es mon frère, t'es mon frère ! Ses dents s'entre-choquaient. Ses mains tremblantes allaient et venaient sur la table. Soudain, il comprit et se mit à pleurer. De grosses larmes, lentes, coulaient sur ses joues. Il 5o LE SOLDAT se mouchait, reniflait, le corps tout secoué de sanglots. Et s'essuyant le visage de ses mains souillées de terre, il devenait une chose grotesque, émouvante. Jean Gérard le réconfortait, flatté au fond de cet accueil : — Pleure pas comme ça, bougre de serin! Y a pas mort d'homme. L'enfant put parler, un flux de paroles s'échappant de sa gorge, pêle-mêle avec des hoquets : — T'en v'ià une afl'aire. Quoi qu'y vont dire, les vieux ? Si on s'attendait à ça ! Le Tliicrry, de Gondre- ville, qu'était voltigeur de la garde, est venu exprès nous dire que t'étais mort, qu'y t'avait vu couché dans la tranchée. Alors on t'a commandé un beau service, tous les parents sont venus. Les cloches ont sonné pour toi pendant deux jours, les cloches ont sonné pour toi. Il répétait cette phrase, qui rendait bien la stupéfac- tion qu'il éprouvait à retrouver son frère vivant. Puis il dit encore : — Et chez nous, qu'est-ce que ça va faire ? Ces mots décidèrent Jean Gérard ; il se leva et prenant l'enfant par la main, tous deux se dirigèrent vers la maison. Les gens revenaient de la messe; des femmes passaient, tenant à la main des morceaux de pain bénit. Ils tournèrent le mur de la sacristie, par un sentier où les vieux sureaux, constellés d'ombelles blanches, ver- saient une ombre légère, criblée de soleil. — Jean Gérard aperçut sa mère. La Céiestine allait et venait dans le petit jardin, que fermait une haie de troène,uneraclottede feràla main, échorbant l'herbe d'une plate-bande, sarclant un plant 5i Emile MoselVy d'asperges, en bonne ménagère qui ne perd pas une minute. Jean Gérard la regardait, cloué sur place, tout frissonnant de tendresse. Elle lui paraissait toute petite. Une mèche de cheveux blancs sortait de la coiffe de son bonnet, un bonnet de vieille, serré aux tempes, sans un ruban. Il avait peur de faire un mouvement, peur de prononcer une parole, comprenant que la secousse serait trop forte pour cette pauvre chose usée, trem- blante, ratatinée. L'enfant cria joj^eusement: — M'man Célestine! La vieille se dressa, les mains au front, éblouie dans l'accablement du soleil. Elle reconnut son fils. Elle devint blanche « comme un linge ». Lentement, doucement, elle s'affala de son long au milieu du sen- tier. Jean Gérard d'un bond traversa la haie. L'enfant pous- sait des cris, des voisines accoururent; une d'elles frap- pait dans les mains de la vieille évanouie, une autre lui faisait respirer du vinaigre. La mère reprenait connaissance, comme le vieux Fan arrivait. Ses genoux tremblaient. Quand il aperçut Jean, du coup, il laissa tomber le brûle-gueule rivé à sa bouche. Et tout le monde s'étreignit étroitement, la mère surtout, s'agrippant à son garçon, le serrant de toutes ses forces contre sa poitrine, tandis qu'un long frémissement parcourait ses épaules pointues, son échine lasse. L'émotion calmée, on parla. La mère se reculait d'un pas, pour mieux voir son garçon, pour mieux le tenir sous son regard. 52 LE SOLDAT — C'est donc toi, not' Jean. — T'es donc pas mort. — Pas si bête. — Alors, quoi qu'y disait l'autre? — Des fois, on s'trompe. Ça s'est vu. — Enfin te v'ià. C'est le pu beau d'I'affaire. Le petit s'était mis à pleurer, gagné par l'attendrisse- ment général. La mère souriait, tenant encore à la main la petite raclotte qui lui servait à sarcler les mauvaises herbes. — C't'andouille, fit Jean, il pleure comme ça depuis que j'I'ai retrouvé. En v'ià une façon d'accueillir son monde. Puis il ajouta : — Alors, c'est mon frère, celui qu'est venu pour me rogner nia part. — Une ravisotte, dit la mère. On l'a eu, qu'on n'y pensait plus. Enfin on l'aime bien tout d'même. Jean Gérard di* sentencieux : — Y a jamais trop de monde pour taper dans la terre. Le temps passait : on restait là, au milieu du jardin; des voisins étaient venus. Jean Gérard retrouva le ton joyeux de son enfance, sa bonne humeur natu- relle : — A table, la mère, j'ai faim. On entra dans la grande cuisine. Jean Gérard s'assit, soupira, allongea ses jambes sous la table. Un rayon de jour verdàtre filtrant à travers les feuilles tendres de la treille, baignait les objets d'un reflet d'eau. Le bulTet de noyer aux panneaux fendillés par la sécheresse, luisait. L'horloge battait dans sa gaine de bois. Au-dessus des fourrés d'orties, le sentier 53 Emile Moselljr courait dans la côte en friche, oblique et sinueux comme un animal rampant. Une seconde fois Jean Gérard ressentit la même impression étrange, la même stupéfaction à la fois enveloppante et triste, en retrou- vant toutes ces choses immobiles, somnolant dans leur torpeur séculaire. Et il lui semblait qu'il n'avait jamais quitté le pays, et que les ravins de Traktir et les plaines de Solférino n'existaient pas. Il regardait attentivement l'âtre plein de cendres, le cramail, le soufflet de fer, toutes les pauvres choses dont il aurait pu compter les éraflures, les taches de rouille, les grains de suie, quand il fermait les yeux, là- bas, dans les grands pays nostalgiques. La mère s'empressait autour de la table, servant la soupe, où l'on avait mis, en l'honneur de l'enfant, un morceau de jambon et un bout de saucisse. Elle s'excusa de la mauvaise chère. — C'est comme un sort. Justement j'ai pas fait de gâteaux ni de quiches. On n'avait plus le cœur à rien, depuis la mauvaise nouvelle. Elle revenait là-dessus à tout moment, véritablement désolée, comme si cela seul avait eu de l'importance. Le père descendait à la cave pour tirer du vin. Elle s'approcha de Jean et lui dit à voix basse : — Comment qu'tu trouves ton père ? — Toujours le même. Elle secoua la tête tristement : — Il a bien changé. La nouvelle lui avait porté un coup. Ça lui a coupé les bras, et j'ai bien du mal dans le moment des gros ouvnages. Le vieux rentrait. La mère fit un clignement d'yeux entendu et détourna la conversation. 64 LE SOLDAT — Ah çà, dit le père, tu ne nous quittes plus. — Pas plus tard que d'main. Faut que j'rejoigne à Pont-à-Moussou. On poussa les hauts cris. Le^ hommes n'étaient pas des chiens pour se laisser mener aussi durement. On n'avait pas le temps de souffler. Tout de suite en route ! . . . Jean Gérard consolait les vieux. La compagnie ren- trait au dépôt et le moment de la libération appro- chait. Le vieux mangeait sa soupe lentement, s'abîmant dans une contemplation triste. — Et la Virginie Millet, dit soudain Jean Gérard. — Mariée depuis douze ans, répondit la mère. Dame, oui, elle ne pouvait pas t'attendre. Ses parents lui menaient la vie dure. Elle a pris un garçon riche et tout leur réussit. La veille de son mariage, elle était encore là, assise au coin du feu, pleurant comme une Made- leine. Jean Gérard fit une moue pitoyable. Puis il se reprit, et eut un haussement d'épaules, comme pour jeter le passé derrière lui. 11 sifflota joyeusement : — Allons, faisons le tour de la maison. Y m'fait grè de r'voir tout ça. On parcourut la bâtisse depuis la cave jusqu'au gre- nier. Jean Gérard approuvait, donnait des conseils, faisait des projets pour son retour. Le vieux le suivait, la pipe aux dents, disant de temps à autre : Tu vois, ça n'a pas trop dépéri. Le garçon s'exclama à la vue du tesseau, gerbes d'avoines et de blés cpi'on n'avait pas battues encore et qui montaient jusqu'aux charpentes du toit, sous la tuile, bourrant le grenier. 55 Emile Moselly A l'écurie, il retrouva la Minouche, une vieille pouliche grise, la mère des autres chevaux, et il eut plaisir à appliquer une claque sonore sur la croupe luisante de la jument. On sortit par la porte du jardin. Le vieux riait, d'un rire malin, qui fronçait le bout de son nez chauffé par le brûle-gueule. — Regarde ça, mon garçon. Et du geste, il embrassait la chènevière nouvellement achetée, douze hommées d'un seul tenant. On y avait planté un seigle déjà grand, dont les têtes fines ondu- laient, entre-choquées par le vent avec un froissement léger. Le vieux marcha à grandes enjambées et se mit debout près de la borne pour mieux donner idée de l'étendue de la pièce, tandis que le garçon se baissait, ramassait une poignée de terre brune et la faisait couler dans ses doigts. C'était une bonne terre meuble, grasse, facile à travailler. Alors, ils s'épanouirent, le ventre chauffé d'une âpre satisfaction, souriant aux épis barbus, au soleil qui tombait d'aplomb sur les mottes, fécondant le sein de la terre. — Y aura du plaisir à taper là-dedans, prononça le fils. — Ça nous a coûté gros, — dit le vieux, — mais on a achevé de payer à la Saint-Martin. On alla faire un tour dans le village. La fête battait son plein. Les détonations des tirs forains se succé- daient sèches, cassantes. Des enfants passaient, soufflant à tue-tête dans des trompettes, et les chevaux de bois tournaient dans un éblouissement d'or, de glaces, de verroteries miroitantes. 56 LE SOLDAT La curiosité se levait sur le passage de Jean Gérard. Des gens l'accostaient. Il racontait ses campagnes, tandis que le vieux, derrière lui, s'enorgueillissait. Une femme s'avançait dans la rue, traînant une ribambelle d'enfants accrochés à ses jupes. C'était la Virginie Millet. Elle s'arrêta devant Jean Gérard, décontenancée, toute pâle, faisant effort pour contenir son émotion. Elle lui parut plus grande, plus belle, dans toute l'am- pleur de ses formes, dans le rayonnement orgueilleux de sa maternité. Elle portait sur le bras une fillette de deux ans qui lui ressemblait étrangement. Un petit homme, sec et brusque, marchait à ses côtés. Ce devait être le mari. Jean Gérard la regardait ; la femme haletait ; simple- ment il lui tendit la main. — Mâtin! t'as bien travaillé, dit-^il, en indiquant les marmots. Il eut un gros rire, qui les soulagea tous les deux, les délivrant d'une angoisse. Elle ne répondait pas : ses lèvres se crispant, ébau- chaient une moue douloureuse, et serrant la petite fille dans ses bras, elle lui parlait tendrement pour se donner une contenance. Jean Gérard la regardait; elle avait toujours ses che- veux bruns, ses joues fraîches, ses bras ronds et potelés. Du passé flottait dans les frisons de sa nuque et dans les plis fins de ses lèvres, et Jean Gérard se rappelait qu'il avait aimé tout cela. Le mari s'avançait: — Sans rancune, mon vieux. — Qui va à la chasse, perd sa place. 57 Emile Moselly Puis il insista : — Puisqu'on se retrouvait, on ne se ferait pas la figure. On boirait un coup ensemble et on se quitterait bons amis. Jean Gérard accepta. Ils habitaient tout à l'extrémité du village, une maison d'apparence cossue. La façade luisait au soleil, revêtue d'un crépi de chaux, tout neuf. Il y avait devant la porte, un banc de lattes vertes, comme chez des bour- geois, et le tas de fumier endigué dans des pierres de taille, révélait par sa masse imposante, le nombre de bétail enfermé dans les étables. La femme rinça des verres. On causa de choses et d'autres ; une gêne qui pesait sur les paroles, les rendait précautionneuses. Le mari, bon enfant, tapait du poing sur la table. — En v'ià une figure d'enterrement. Dégelez-vous donc, vous autres. Mais ils n'y arrivaient pas, ils s'ob- servaient, et les moindres mots qu'ils prononçaient, le propos le plus banal, prenaient des sens détournés, devenaient autant d'allusions au passé qui les effrayait. Jean Gérard attira là fillette qui trottinait dans la chambre. Elle lui montrait sa poupée, un pauvre jouet de carton à qui manquait un bras et la moitié d'une joue. Jean Gérard caressait les cheveux de la petite fille, ses che- veux fins et souples conune ceux de la mère. Il l'embrassa ; — Dis donc, tu seras bien sage, et quand tu seras grande, nous nous marierons... Il ajouta doucement : — Tu m'attendras au moins, toi. 58 LE SOLDAT La femnie ne dit rien, et s'étant penchée à la fenêtre, elle parut regarder avec attention des gens de la ville qui passaient. • Ce fut un soulagement, quand on se sépara. 9k Jean Gérard rentra très tard cette nuit. Il avait bu, dansé, fait les cent coups avec des garçons qui avaient de la barbe, et qui étaient hauts comme la botte quand il était parti. Les vieux ne s'étaient pas couchés. Ils l'attendaient au coin de l'âtre mort, assis au coin de la petite table. Une chandelle fumeuse jetait dans la pièce une lumière triste. La mère somnolait, la bouche ouverte, sa pauvre tête grise tombant par saccades sur sa poitrine avec une sorte de déclanchement lamentable. — T'as-tu bien amusé, not' Jean? — Ma foi, oui. Mais c'est la dernière fois. Tout ça n'est plus de mon âge. Les vieux lui conseillant d'aller se coucher, il refusa. On n'avait pas si longtemps à être ensemble. Et tous trois se mirent à causer, tout en buvant de petits coups d'eau-de-vie de marc, que la vieille avait apportée. Le petit jour se glissa dans la pièce, rayant les murs d'ombres indécises. Un coq chanta. — En route, dit Jean Gérard. La mère le serra dans ses bras. Le vieux lui fit un bout de conduite, le long des jar- dins. L'aube se levait, nacrée, derrière les cerisiers feuillus. Des odeurs de terre mouillée, d'herbe molle de rosée 59 Emile Mose-lly sortaient des clos. Une clameur de vie se levait des campagnes. Le vieux parlait à tort et à travers, ayant peur de paraître ému. Il mâchonnait maladroitement un cigare que Jean Gérard lui avait rapporté du café. Il dit : — Va faire chaud sur le coup de midi. — Du bon temps, répondit Jean Gérard. Au bas de la côte ils s'embrassèrent. — Bon voyage, dit le vieux. Puis, comme le fils était à quelques pas, il le rappela. — Faut pas tarder à revenir. Nous autres, on n'en a plus pour si longtemps. Emile Moselly les retours. — 4 // a été tiré de ce cahier treize exemplaires sur whatman ainsi distribués : premier exemplaire de souche, exemplaire du gérant; deuxième exemplaire de souche, exemplaire de l'ad- ministrateur ; troisième exemplaire de souche, exemplaire de l'im- primeur ; dix exemplaires d'abonnement, numérotés de i à lo exemplaires d'abonnement. Tous nos exemplaires sur whatman sont numérotés à la presse et imprimés au nom du souscripteur ; nos tirages d^ exemplaires sur whatman sont rigoureuse- ment limités a'i nombre d'abonnements à chaque in- stant souscrits; nous ne vendons point d'exemplaires sur whatman en dehors de l'abonnement ; l'abonnement sur whatman à cette septième série est de cent francs pour tous pays. I CAHIERS DE LA QUINZAINE, 8, rue de la Sorbonne, rez-de-chaussée, Paris, cinquième arrondissement. Nos Cahiers sont édités par des souscriptions men- suelles régulières et par des souscriptions extraordi- naires ; la souscription ne confère aucune autorité sur la rédaction ni sur l'administration ; ces fonctions demeurent libres. Nos Cahiers paraissent par séries; une série paraît dans le temps d'une année scolaire, d'une année ouvrière, d'octobre-novembre à Juin-juillet; l'abonne- ment se prend pour une série. On peut souscrire cet abonnement à tout moment de l'année, mais l'abonnement ainsi souscrit est, de droit, valable pour la série en cours, et pour toute cette série. Prix de l'abonnement, pour chaque série annuelle pendant le cours de cette série : ' Paris, départements, Alsace-Lorraine, Abonnement ordi- ) Algérie, Tunisie vingt francs naire i Autres pays de l'Union postale uni- V verselle vingt-cinq francs Abonnement sur whatman . . . cent francs pour tous pays Les exemplaires sur whatman, tirage non réimposé, sont numérotés à la presse et imprimés au nom du souscripteur; le tirage à part sur whatman a commencé de fonctionner au premier janvier igo6 ; les inscrip- tions pour cet abonnement particulier sont reçues en tout temps et reçoivent un numéro d'ordre déterminé automatiquement par le rang même quelles occupent dans l'ordre de l'arrivée, les numéros les plus bas venant naturellement aux inscriptions les plus anciennes ; c'est ce numéro d'inscription qui devient automatiquement le numéro du tirage réservé à chacun des souscripteurs ; l'édition sur whatman est strictement limitée au nombre d'exemplaires souscrit à chaque instant. les retours. — ^. Pour tout changement d'adresse envoyer soixante centimes, six timbres de dix centimes. Nous engageons nos abonnés de certains pays à nous demander un abonnement recommandé ; tous les cahiers de l'abonnement recommandé sont empaquetés à part et recommandés à la poste ; la recommandation postale, comportant une transmission de signature, garantit le destinataire contre certains abus ; pour cette recom- mandation, pour tous pays, en sus, cinq francs. Automatiquement et sans augmentation de prix les exemplaires sur whatman sont tous recommandés et envoyés aux souscripteurs dans des enveloppes-sacs. L'abonnement ordinaire cesse de fonctionner pour chaque série au plus tard le 3i décembre qui suit l'achèvement de cette série; ainsi du premier octobre au 3i décembre 1905 on pouvait encore avoir pour vingt francs les dix-sept cahiers de cette sixième série com- plète. A partir du premier janvier qui suit l'achèvement d'une série, le prix de cette série est porté au moins au total des prix marqués ; ainsi à dater du pre- mier janvier 1906 la sixième série complète se vend soixante-treize francs. Adresser à M. André Bourgeois, administrateur des cahiers, 8, rue de la Sorbonne, rez-de-chaussée, Paris, cinquième arrondissement, toute la correspondance sans aucune exception. N'oublier pas d'indiquer dans la correspondance le numéro de l'abonnement, comme il est inscrit sur l'étiquette, avant le nom. Nous ne répon- dons pas des manuscrits qui nous sont envoyés; nous n'accordons aucim tour de faveur pour la lecture des manuscrits ; nous ne lisons les manuscrits qu'à mesure que nous en avons besoin ; les œuvres que nous publions appartiennent aux cahiers, du seul fait de cette publi- cation, en toute propriété littéraire, sans aucune réserve, et sans autre signification ni contrat; les manuscrits non insérés ne sont pas rendus. • TABLE DE CE CAHIER PAGES Notre catalogue analytique sommaire; notre petit index alphabétique provisoire du catalogue analytique sommaire ; notre petite table analytique provisoire très sommaire de notre sixième série . . 2 à la gloire 5 Du même auteur, aux Cahiers de la Quinzaine. ... 7 les retours 9 les haleurs 11 le soldat 39 // a été tiré de ce cahier 63 Nos Cahiers sont édités 65 Table de ce cahier 69 Les Cahiers de la Quinzaine sont composés à la main. Nous avons donné le bon à tirer après corrections pour deux mille exemplaires de ce dix-neuvième cahier et pour treize exemplaires sur whatman le mardi 2/^ juillet igo6. Le gérant : Charles Péguy Ce cahier a été composé et tiré par des ouvriers syndiqués Suresnes. — Imprimerie Ernest Payen, i3, rue Pierre-Dupont, — lo^j BIBLIOTHECA i: ^ viens »^ 281 La Bibliothèque Université d^Ottawa Echéance The Libr< ary University of Ottawa Date Due a39003 0009970^8b RFTOURS: LES <; i' i :•;: .i! - U D'/OF OTTAWA \-i[V'\-':\HMni iiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiii^^^ iiiiiii ';..< WH, t'iî.J \ vr-. >/■